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Et puis c'est tout

Vidéo de 32.30 mn / 2012

Cette vidéo a été réalisée en collaboration avec des adolescents étant diagnostiqués par les institutions comme ayant des troubles cognitifs.

Ce film a été produit dans le cadre de l'Orange Rouge.

Infos

Les droits de diffusion non exclusifs ont été acquis par le Conseil général de la Seine Saint-Denis jusqu'en 2022.

La vidéo a été montré dans une exposition de groupe à la galerie Nicolas Silin, commissariat: Corinne Digard et Marie Bechetoille. Juin 2012

La consultation de la vidéo se fait uniquement sur demande. Si vous souhaitez la voir, veuillez m'envoyer un email, en retour je vous transferrais un lien pour la regarder.

Visuel Et puis c'est tout

Récit partiel de l'expérience

Un point de départ Lorsque j'ai été invitée par l'Orange Rouge à réaliser un projet avec des enfants de classe Ulis, j'ai interprété cette demande comme ne s'agissant pas de réaliser un atelier avec ces enfants mais de créer une oeuvre, sans qu'ils ne deviennent des assistants au service de mon travail, mais basé sur un acte de collaboration.


La première question qui s'est imposée a été comment faire oeuvre en collaboration sans avoir de références communes mais surtout avec un «partenaire» qui n'a aucune notion des différentes problématiques et en- jeux liés à l'art. Les enfants avec lesquels j'ai collaboré sont diagnostiqués par le corps médical et ensuite reconnus par l'administration comme ayant des troubles cognitifs. Ces troubles peuvent concerner le langage (dont la lecture), le geste et les identifications perceptives, l'attention, la mémoire. La nature de ces troubles fait écho à mon dernier travail sur les Marqueurs Temps et notamment au livre «Hypothèse» qui met en jeu différentes temporalités, interroge la notion d'Histoire et de mémoire. J'avais déjà rencontré pour ce travail le terme de l'aphasie (qui est le terme utilisé pour les troubles du langage) à la lecture de «Le Bergsonisme» de Gilles Deleuze qui a été un texte de référence dans l'élaboration de l'oeuvre / livre «Hypothèse». Dans ce travail, je m'intéressais aussi aux intentions théoriques de l'artiste que je distingue de la perception que l'on peut avoir d'une oeuvre. étant donné la spécificité de ces élèves, l'enseignante a retenue cet aspect de mon travail: le décalage entre intention et perception, cela a été notre point de départ.

La première fois où j'ai rencontré les enfants, je leur ai montré un peinture du XIXème qui se passe dans la rue devant les grands magasins parisiens, j'ai pris cette image un peu au hasard dans leur manuel d'Histoire. Afin qu'ils ne parlent pas tous en même temps, je leur ai demandé d'écri re leurs descriptions, j'ai découvert que pour certains il était très difficile d'écrire, qu'ils se sentaient dans un exercice scolaire, qu'ils répondaient à une demande sans prendre de liberté d'esprit, qu'ils allaient m'assimiler au corps enseignant et à tout ce qui concerne les règles de l'école. J'ai rapidement compris que j'allais devoir m'extirper en permanence de ce regard qu'ils ont sur les adultes dans le contexte de l'école et que j'allais devoir travailler mon attitude au plus près de mon travail artistique afin de faire advenir une nouvelle réalité pour les enfants, celle de la critique et de la puissance imaginaire.

Une rencontre par le biais du point aveugle.

S'il s'agit d'une réelle collaboration, l'oeuvre devra naître de la rencontre avec les enfants, en leur laissant une grande part active dans cette construction tout en restant cohérente avec la nature de mon travail. L'enjeux a été de créer un territoire commun, celui de la rencontre, mais aussi de considérer ce qui nous échappe. Dans l'idée de faire émerger cette histoire commune, il a fallu que je leur transmette mes points de réflexion sans les submerger afin qu'ils aient la possibilité d'y répliquer. Je leur ai proposé d'aller voir deux expositions dont les sujets pouvaient avoir des points de recoupements avec mon travail. Nous avons vu «Mémoires du futur» à Maison Rouge et «Une Légende en cache une autre» à Betonsalon. Ces visites ont été conçues comme le point aveugle du projet. Un Point Aveugle est un terme en médecine qui désigne un point dans la vision humaine. C'est le seul point de la rétine qui ne voit pas, en raison de l'ab sence de photorécepteurs. Il se situe au niveau de la jonction entre le nerf optique et l'oeil. En laissant circuler et réagir dans l'exposition sans leur donner d'indications ni d'informations sur mon travail, nous pouvions dire alors que nous étions dans le point aveugle du projet, dans ce qui ne se voit pas mais qui est là déjà comme espace politique de la rencontre. Le point Aveugle est aussi une pièce que j'ai réalisée en même temps que le livre «Hypothèse»: j'ai déroulé une bande de papier de 70 cm de large par 4m de long (la longueur totale du mur). Ce papier était censé recevoir mes idées et interrogations. A partir du moment où j'ai affiché le papier, je n'ai pas eu besoin d'écrire dessus. Le seul fait qu'il existe, m'a permis de projeter l'essence du livre, avant même qu'il ne soit fini d'être pensé et réalisé.


La décision de faire un film:

Rendre compte de nos expériences communes et expérimenter la possibi lité de créer des formes esthétiques par notre simple rencontre a été l'étape suivante. Le rendez-vous suivant était entaché d'une lourde charge, celle de devoir faire produire de la matière de travail aux enfants, cette vision n'était pas sans rappeler les protocoles de l'école mais aussi la logique de production de biens de consommation. En chemin je lisais «L'Empire des signes» de Roland Barthes, dans la partie sur l'incident, il traite du haïku, de sa brièveté, de sa non description, de sa déshérence de la signification, il écrit du haïku qu'il serait un réseau de joyaux dans lesquels tous les autres se reflèteraient à l'infini sans qu'il n'y ait de centre à saisir.

Cette économie du haïku, ouvert, sans centre, était bien cohérente avec l'idée d'un espace politique de la rencontre mais contradictoire avec l'idée de faire produire les enfants. J'ai abandonné toute stratégie structurée qui visait à un rende- ment, j'ai pris cette décision difficile, de faire une séance de travail dans laquelle j'ai simplement dit aux enfants: «Je vous écoute».

Ils ont parlé pendant 2h30, le «je vous écoute» à la façon du psychanalyste, leur a laissé exprimer leurs réels désirs, j'ai pu entrevoir leur interprétation de cette phrase, ils ont parlé de ce qui les a marqué dans l'exposition, de ce qu'ils voudraient faire dans le film que nous avions projeté de faire. Une chose encore plus difficile est aussi d'entendre que leur imaginaire est bridé par leurs références télévisuelles, d'entendre leurs difficultés à inventer d'autres modèles mais aussi que leurs désirs sont extrêmement dis tincts de mes propres références. En laissant cette espace de parole libre, il s'en est dégagé une rêverie commune, à la façon d'un cadavre exquis, cette conjoncture surréaliste a peut-être été notre premier acte de création collectif, c'est cette idée qui est reprise dans la première scène du film. Cette posture de retrait m'a aussi fait penser à l'expérience du «Maitre ignorant» de Jacques Rancière mais aussi à la position basse que préconise Gregory Bateson dans ses recherches sur la communication, lorsque que deux groupes s'affrontent, un phénomène d'escalade s'enclenche, la position basse consisterait à se mettre en retrait pour désamorcer et rétablir ainsi le dialogue en «valorisant» celui à qui on s'adresse.


Le film

Si le cadavre exquis a été notre première expérience esthétique, le film explore différents protocoles de jeu comme la possibilité de faire acte de création, il tente de faire converger les désirs des enfants et mes propres questionnements sur notre rencontre, il en montre aussi parfois les limites, il n'en est pas moins construit comme une aventure.