François Verret
Cabaret
François Verret réactualise le cabaret allemand des années trente souhaitant renouer avec une forme d'engagement politique sur scène, ce qui n'est pas sans soulever un certain nombre de questions quant à l'efficience de cette démarche.
Si François Verret revisite le cabaret allemand des années trente, c'est à son caractère politique et engagé qu'il s'intéresse. Il faut rappeler que Bertolt Brecht y produisait chansons satiriques et pièces de théâtre et que le cabaret sous cette forme fut interdit par le pouvoir national socialiste. Le cabaret est conforme au projet théâtral brechtien, privilégiant une succession de scénettes n'ayant aucun rapport entre elles, s'affranchissant ainsi du caractère mimétique et illusionniste du théâtre bourgeois de cette époque.
De ce cabaret, François Verret en retient les archétypes, plutôt que le folklore. Il en restitue les fondamentaux, ceux-là même qui ont fait acte politique dans le contexte de référence. Ainsi, la contorsionniste se tord sur des écrans qu'elle escalade, elle s'écartèle sur une mosaïque de vidéos projetées et réalisées en partie par le journaliste militant Ahmed Méguini. Ces vidéos, dont on ne distingue pas très bien le contenu, dénoncent l'horreur et les injustices. Elles sont soutenues musicalement par une pianiste, autre figure du cabaret qui abandonne ses mélodies pour taper sur les cordes du piano, symbolisant le passage à l'action.
L'appel à l'action est un autre aspect qui annoncera les écrits sur la distanciation de Bertolt Brecht. Ici, dans la pièce de François Verret, les protagonistes usent d'un langage direct, dénonçant une condition. "Je ne veux plus avoir peur, c'est la crise", "Je travaille sur un projet, je veux me vendre" confie l'artiste au public ; "Je suis dans une sorte de schizophrénie, je condense les systèmes et en même temps j'en profite » confesse l'interviewer. Le prisonnier, lui, se dit doublement enfermé, par la société et dans sa cellule.
Les paroles sont plaintives, un homme marche les mains au sol, il ne se tient plus debout, il a perdu son humanité, sa capacité à penser ; l'interviewer est couché parterre tandis que la chanteuse scande des refrains simples et sa voix ne pourra recouvrir le brouhaha de l'actualité. Les corps sont crispés, des mannequins en tissu sont secoués comme des êtres qui auraient perdu leur capacité à agir, ces pantins semblent tout droit sortis de l'univers forain qu'affectionnait Brecht.
Face à la violence de ce qui est dit et montré, François Verret représente aussi son envers, c'est à dire la société du spectacle et du divertissement. Une femme en chemise de nuit blanche chante des niaiseries, balançant les bras comme Chantal Goya et fait en même temps étrangement penser à Anne Sylvestre. Elle sera rejointe par un boys band. Des images vidéos montrent des hommes massifiés dans un église chrétienne, ils se prennent dans les bras à tour de rôle pendant que notre chanteuse, telle une somnanbule, ne cesse d'entonner "T'en va pas, reste tout prêt du coeur" et nous pensons à la célèbre expression de Marx : "l'opium du peuple".
Un tel parti-pris paraît problématique. En réactualisant une forme de théâtre politique propre aux années trente, François Verret met implicitement en relation la crise économique de cette époque avec celle que nous vivons aujourd'hui. Cette comparaison est d'ailleurs conforme à la façon dont la crise économique est traitée par les medias : trop complexe pour être saisie dans son présent, elle est souvent comparée à celle de vingt-neuf. Les deux crises sont ainsi confrontées dans leurs degrés de catastrophisme, nous rappelant que celle des années trente a été le terreau de la montée du nazisme. Ces parallèles historiques suscitent un intérêt collectif basé sur la spectacularisation de désirs morbides qui
se complaisent dans des illusions, car les évènements ne se répètent jamais tout à fait de la même façon, mais c'est ce qui permet aux médias de survivre.
Souhaitant dénoncer, entre autres, la société du spectacle, François Verret en adopte au final la thèse, et c'est peut-être même la posture artistique-critique comme acte politique qui serait innéficiente, comme le théorise Jacques Rancière dans Le Spectateur émancipé.
Par ailleurs, les vidéos censées nous amener à la révolte sont projetées sur un amas d'écrans qui nous évoquent l'autre père de la distanciation : Erwin Piscator. Ses recherches ont porté plus particulièrement sur les scénographies et techniques de l'époque. Dans son contexte, la prise de possession des images par les ouvriers — et notamment dans l'Agitprop dont il va s'inspirer — était une forme d'émancipation et d'appropriation de lieux de discours et n'est en rien comparable avec la fonction, nature et prolifération des images d'aujourd'hui. Ces questionnements ne remettent pas en cause l'intérêt de l'ensemble du travail de François Verret même si nous aurions envie qu'il nous éclaire sur ce parti-pris…
Lieu: Théâtre de La Cité Internationale
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